Corpus Sapiencia

La tendance des autres peuples à imputer ce qu'ils ne comprennent pas à l'œuvre d'une entité supérieure est régulièrement considérée comme de la faiblesse intellectuelle par les Recollecteurs.
J'y vois pour ma part une volonté d'injecter de l'espoir dans un quotidien qui serait autrement bien glacial. Et si j'ai longtemps suivi le dogme du Corpus Sapiencia, je me demande à présent s'il n'est pas responsable du manque de chaleur du peuple Recollecteur.

— Hiérarque Epimetheus

Introduction

Les Recollecteurs ne reconnaissent aucune divinité. Ils se relaient cependant un certain nombre de fables faisant état de personnages mythologiques, ayant supposément existé par le passé, dont ils se narrent les aventures en guise de métaphores philosophiques et de leçons de vie. Ce panthéon chamarré contient tout autant des agriculteurs que des guerriers émérites ou des Hymniers de talent. Leurs épopées sont décrites dans des textes antiques, peintes sur des fresques de céramique ou encore clamées en alexandrins par des poètes transis. C'est l'ensemble de ces fables et de leurs représentations qui forment le Corpus Sapiencia.
Cet ensemble de contes plus ou moins organisé est enseigné à l'école par les maîtres d'apprentissage et débattu par les adultes qui confrontent leurs versions et leurs interprétations de la sagesse cachée dans cette mythologie. Certains Recollecteurs versés en théologie dédient leur vie à l'archivage et à l'étude de ces mythes, s'intéressant de près aux variations locales d'une même fable ou confrontant les différentes versions qui ont émergé au fil des décennies.

Caractéristiques des mythes

Les mythes qui composent le Corpus Sapiencia sont très divers et un même conte fait l'objet de plusieurs versions selon l'époque et le lieu où il est relaté. Malgré tout, ces fables et leurs représentations possèdent plusieurs caractéristiques singulières :

• L'absence de dieu : les mythes Recollecteurs mettent l'humain au centre du monde et nient l'existence d'une quelconque entité divine. Plusieurs contes sont ouvertement anticléricaux et louent la lucidité de héros qui abattent de faux cultes et mettent au jour la vacuité de pseudo-religions illusoires.
• L'absence de cosmogonie : aucun récit Recollecteur ne se prononce quant à la manière dont l'Archipel est venu au jour, pas plus qu'on n'y évoque une éventuelle fin du monde. De la même manière, l'apparition des Recollecteurs ou de l'humanité n'est pas traitée. Les fables se déroulent pour la plupart dans des temps plus ou moins anciens, et la frontière entre mythologie et histoire n'existe pas vraiment. La plupart des Recollecteurs considèrent ces fables comme historiquement vraies, même si beaucoup reconnaissent que le passage du temps et la transmission de ces événements de génération en génération ont pu en altérer ou en simplifier le déroulé.
• L'emphase sur les héros : les mythes Recollecteurs placent, quelque part entre l'apparition de l'humanité et notre époque, un âge des héros, plus ou moins long, où vécurent des individus mortels et indissociables des hommes de notre temps. Ils n'étaient ni plus grands, ni plus beaux, ni plus forts ; en revanche, ils employèrent tous leur intellect et leurs talents pour accomplir de grandes choses et transcender leur condition de départ, ce qui leur valut l'entrée dans le panthéon Recollecteur. Ces fables sont de véritables odes au dépassement de soi, et font généralement la part belle à l'intellect, la lucidité et à la perspicacité, au détriment de la force physique ou à la beauté, qui sont rarement des qualités louées par le Corpus Sapiencia.

Place dans la société

Les enfants Recollecteurs étudient les principaux mythes du Corpus Sapiencia dès leur plus jeune âge ; les adultes y puisent une source d'inspiration inépuisable qui alimente les potiers, les poètes, les comédiens, les artisans, les peintres ou les sculpteurs. Toute la nation vit entourée de représentations qui s'attachent au Corpus Sapiencia, qui ne sont pas de simples illustrations des mythes mais sont adaptées au public visé ou au contexte dans lequel la représentation est faite. Ceci engendre alors de nouvelles variantes des fables, qui enrichiront le Corpus.
Aucune autorité centrale ne régit ces versions et il n'existe pas de "véritable version" d'un mythe. Des érudits dédient leur vie à la confrontation des sources et des versions d'un même conte, mais il n'existe aucune autorité centrale capable d'édicter la vérité et de régir le dogme du Corpus Sapiencia.
Ceci engendre des débats animés dans tous les cercles de société, pendant lesquels des théologiens s'affrontent quand à leur perception de ces mythes et de la compréhension qui doit en être faite. Le Corpus Sapiencia est une marmite bouillonnante de dogmes en perpétuelle évolution, et de nouvelles versions des mythes connus sont régulièrement créées, popularisées puis oubliées : des artistes enfiévrés n'hésitent pas à déformer des scènes antiques pour embellir une fresque ; des philosophes-historiens inventent des histoires de cités anciennes fonctionnant selon des systèmes politiques idéalisés et conformes à leurs convictions.
En revanche s'il est autorisé de croire à différentes versions d'un même conte, il est impensable de ne croire en rien ; l'impiété est sévèrement réprimandée, et de nombreuses accusations en ce sens sont régulièrement émises, bien qu'il soit difficile de démêler le religieux de la politique. Il est ainsi courant de traduire son adversaire politique en justice devant les Archontes, en l'accusant de ne pas avoir correctement observé un rite ou bafoué une représentation mythologie dans la cité.

Rites principaux

L'absence de dogme central n'empêche pas les Recollecteurs de pratiquer un certain nombre de rites et d'hommages à leurs héros d'antan.

La purification

Le rituel le plus fréquent chez les Recollecteurs est celui de la purification, bien qu'il se présente sous d'innombrables formes. C'est généralement un rite d'entrée, qui précède aux véritables rituels.
Il consiste en un geste de pureté propre à éliminer la souillure : se laver les mains, se baigner dans une fontaine... il est également possible de laver un lieu, et parfois même une cité entière, notamment en temps d'épidémie ou avant de grandes assemblées ; la salle des Archontes est ainsi lavée à grandes eaux avant chaque Conseil.
Depuis la découverte des Îles Membraneuses, les Recollecteurs ont également introduit la fumigation à base de soufre dans leurs rites.
Outre l'aspect culturel, les rites de purification revêtent également un aspect pratique, en renforçant l'hygiène collective et en améliorant la condition sanitaire des villes Recollectrices, qui sont souvent denses et propices à la propagation des maladies.

La procession

Le peuple Recollecteur se livre régulièrement à de longues marches rituelles, des processions où l'on se rend jusqu'à des sanctuaires dédiés à des héros d'antan ou des points d'intérêt historique de la nation (par exemple les ruines d'une ville antique, ou le théâtre d'une ancienne bataille). Ces processions se font uniquement de jour et sont généralement accompagnées de chants patriotiques, que les participants scandent avec entrain.

by Leopold Munsch (public domain)

Certains cantiques, les Double-Voix, sont spécifiquement étudiés pour ces processions et sont découpés en une mélodie primaire et une mélodie secondaire, jouée en accompagnement de la première. L'arrière du cortège répond ainsi à la tête dans une sorte de contre-chant.
En montagne, l'écho démultiplie les Double-Voix, transformant la procession en un véritable concert de répliques et de voix successives.

La divination

Contrairement à certains autres peuples qui s'en remettent à des shamans ou des oracles pour interpréter des signaux divins, les Recollecteurs considèrent que tout un chacun peut se livrer à la divination.
En outre, son objectif n'est pas simplement de prédire le futur, mais éventuellement de clarifier un point du passé ou du présent. N'importe quel Recollecteur peut s'y livrer, car ce rite repose surtout sur l'utilisation d'Herbe de Prescience, plante endémique des Îles Centrales dont la consommation confère des capacités précognitives avérées.
Il est autorisé, et même conseillé, de pratiquer la divination à plusieurs ; se réunir pour consommer de l'Herbe de Prescience de même souche augmente les probabilités d'avoir la même vision, d'autant plus que les liens entre les participants sont forts. Plus d'esprits implique également une meilleure chance de réussir à décrypter les songes de prescience, qui sont souvent abscons.
Si la divination s'inscrivait jadis dans la droite lignée du culte de la lucidité, valeur que les Recollecteurs portent aux nues, ce rituel a tendance à tomber en désuétude de nos jours. En effet, depuis la découverte des effets du Mal Temporel, la consommation de l'Herbe de Prescience est strictement encadrée. Certains Recollecteurs, nommés les Oniromanthe, ont fait de la divination leur spécialité, et sont soigneusement surveillés par les autorités pour empêcher tout abus de consommation.
Quand aux dirigeants politiques, ils ont tout simplement interdiction de se livrer à ce rituel.

Les fêtes et banquets

Les Recollecteurs sont un peuple aisé qui vit dans l'abondance de nourriture offerte par les Îles Centrales. C'est donc tout naturellement que leur société se livre à l'organisation d'immenses festivals et festins en l'honneur des héros d'antan.
Dans le calendrier récoltant, on trouve ainsi des semaines de festivités dédiées à des figures majeures du Corpus Sapiencia, pendant lesquelles l'on descend dans les rues, l'on chante, danse, clame des poèmes, exhibe ses plus belles parures, et où artistes de rue, comédiens, saltimbanques et marchands rivalisent d'ingéniosité et de talent pour capter l'attention -et l'argent- du public.
Il est facile de se laisser aller à tout type d'excès lors de ces banquets, et les autorités sont très vigilantes à l'explosion de la natalité qu'ils peuvent engendrer ; ces moments de liesse ne doivent en aucun cas mettre à mal la politique de l'enfant unique de la nation.

Quelques exemples de mythes

Ci-dessous sont relatés les versions conventionnelles de certains des mythes les plus célèbres du Corpus Sapiencia.
Le saltimbanque, les Archontes et l'exponentielle

A une époque de paix ennuyante, les vingt-et-un Archontes dirigeant la nation, las et dépourvus de toute distraction, firent venir devant eux le plus grand artiste de l'époque et lui demandèrent de les divertir. Ce dernier, maître de son art, se produisit devant eux avec docilité, et se livra à un spectacle qui ravit les Archontes. Satisfaits, ils lui demandèrent de choisir sa récompense, aussi fastueuse qu'elle fut.
L'artiste formula alors la demande suivante : le premier Archonte devait lui donner un grain de riz, le deuxième devait verser deux grains de riz, le troisième quatre grains, et ainsi de suite, chaque Archonte doublant la récompense de l'Archonte précédent.
Le Conseil, qui s'amusa de la modestie de cette demande, obtempéra en ricanant au nez du maître-artiste, en lui annonçant qu'il était aussi mauvais comptable qu'il était bon divertisseur. On fit venir des sacs de riz issus de la réserve personnelle des Archontes.
Grand mal leur en prit. Si le cinquième Archonte ne dut verser que seize grain de riz, le onzième dut en remettre plus d'un millier. Le dix-huitième Archonte dut verser un tribu de cent-trente milliers de grains ; quant au dernier, il dut se rendre à l'évidence : il n'y avait pas assez de provisions dans le royaume tout entier pour fournir sa récompense au saltimbanque.
Les versions divergent quand à la fin de l'histoire : certaines affirment que le maître-artiste fut emprisonné pour cette effronterie. D'autres, en revanche, relatent que le dernier Archonte, plus malin que ce qu'on croyait, accepta de verser son tribu au saltimbanque, à condition qu'il compte lui-même les grains de riz.

Ceci aussi passera

Avant l'instauration des Archontes, à l'époque où le peuple n'avait qu'un seul roi, ce dernier fit réunir ses sages.
"J'ai pour projet de me faire faire une bague, dans laquelle je souhaiterais inscrire un message court, qui me sera utile dans des temps désespérés."
Les sages, habitués aux longs traités, ne purent aboutir à un message suffisamment court et concis pour tenir sur la bague. Seul le fidèle serviteur du roi, homme modeste du peuple, y parvint. Il écrivit quelques mots sur un petit vélin, que le roi roula dans sa bague en promettant de ne l'ouvrir que lorsque tout serait perdu.
Ce moment arriva. Un beau jour, attaqué par des nations jalouses et vaincu, le roi abandonna sa capitale, poursuivi par ses ennemis. Caché dans une grotte, seul et vaincu, il se rappela de sa promesse et ouvrit sa bague, lisant le message inscrit par son serviteur : "Ceci aussi passera." Un immense silence s'abattit sur lui tandis qu'il regagnait petit à petit espoir. Le bruit des pas de ses ennemis s'étouffa et s'éloigna ; ils perdirent leur chemin et abandonnèrent les recherches.
Le roi replia le papier, remit sa bague, rassembla ses armées et reconquit rapidement son royaume. Victorieux et acclamé par le peuple, il revint triomphant dans sa capitale, et retrouva son vieux serviteur, qui lui sourit.
"Maintenant est venu le moment de relire ton papier.
— Que veux-tu dire ? demanda le roi. Je suis triomphant, acclamé par le peuple, je ne suis pas désespéré."
Le vieil homme se contenta de sourire, et le roi interloqué ouvrit sa bague, alors que tout autour de lui, la célébration battait son plein.
Ceci aussi passera.

Sinocle le fou

De nombreux mythes relatent des anecdotes sur Sinocle de Dioria, fils de magistrat considéré comme l'un des esprits les plus libres de son époque.
Quoiqu'issu d'une famille riche, Sinocle fit le choix de vivre dans la rue, se battant avec les chiens pour leur voler leur os et se nourrir, urinant dans le caniveau et dormant sous le porche de ses concitoyens. Malgré cette existence décadente, Sinocle était quelqu'un d'une grande intelligence - et d'un grand cynisme. Il se livrait souvent à des conférences à même le sol, où il clamait sa philosophie aux passants, attirant à lui nombre de badauds curieux et frappés par sa perspicacité.
A l'époque où la nation toute entière venait d'adopter la politique de l'enfant unique, un grand débat secouait les érudits : comment éviter la tentation de la chair ? Les Archontes, curieux de rencontrer le philosophe de rue, firent convoquer Sinocle, et l'interrogèrent sur la question.
"Eh bien, en se masturbant", répondit Sinocle devant l'assemblée de hauts magistrats. "Hélas, vous ne trouverez pas de solution si simple pour résoudre la famine de nos concitoyens. Il eût été si facile de se frotter le ventre pour résoudre la faim !"
Stupéfaits de son cran, les Archontes lui demandèrent s'il n'avait pas peur d'eux pour s'exprimer aussi vulgairement.
"Êtes-vous une force du bien, ou du mal ?
— Du bien, évidemment, répondirent les Archontes outragés.
— Alors pourquoi devrais-je avoir peur du bien ?"
Lors d'une guerre face à une peuplade barbare, Sinocle fut capturé et réduit en esclavage. Lorsqu'il était sur le point d'être vendu, on lui demanda ce qu'il savait faire.
"Gouverner, rétorqua Sinocle. Il faut donc me vendre à quelqu'un qui cherche un maître."
Si beaucoup d'anecdotes sur ce personnage relèvent de l'interprétation et du fantasme, toutes s'accordent sur un point : Sinocle de Dioria était un esprit libre, subversif... et qui n'a probablement pas vécu vieux au vu de son mépris des codes.

Primary Related Location

Îles Centrales

Ethnies Apparentées

• Recollecteurs

Table des Matières

Introduction

Caractéristiques des mythes

Place dans la société

Rites

s La purification

s La procession

s La divination

s Fêtes et banquets

Quelques exemples de mythes

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Pour aller plus loin

Personnification récoltières

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Les Recollecteurs, férus d'art et de poésie, aiment à personnifier les mois de leurs années. Artistes, graveurs et lettrés rivalisent de talent pour prêter aux mois le visage de nymphes et clamer quelques vers en leur honneur. Au fil du temps, la croyance s'est inversée, et certains sont aujourd'hui convaincus que les mois ont été nommés en hommage à des héroïnes d'antan, et non l'inverse.

by Tresca, Salvatore / Public domain

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