4- Acculées
Le voile d'ombre nous apparut enfin : la sombre masse de la créature, comme un assemblage draconique de corps fantomatiques. Était-ce donc là le sort des villageois·es ? Comment ? Pourquoi ? Ces questions n'avaient aucune importance. Survivre. C'était tout ce qui comptait à l’instant.
Survivre, mais comment ? Nous étions faites. Coincées entre la créature non-vivante et un flanc de falaise que nous ne pourrions jamais grimper assez vite, même avec l’aide de Xelia et de l’esprit-chamois aidant Ozalis. Il allait falloir nous défendre contre cette masse semi-incorporelle de corps désincarnés.
Campæ sur le dos de l’ougrise enragée par la peur, ma lance était prête. “Si l’histoire compte, l’histoire contera notre victoire sur ce dragon !” (Une première pour moi ! Mais ça compte vraiment comme un dragon?) déclamai-je à l’intention de mes camarades d’infortune, “sinon, l’histoire ne contera pas !”.
Le chaman en profita pour se métamorphoser en esprit félin, “pour jouer avec les mêmes règles” lâcha-t-il dans un souffle, tandis que tu étais déjà plusieurs mètres en avant, chargeant, lames brillant au clair de lune.
Le choc fut rude. Fracassement de pierre contre la pierre. Ma tête tournait et je perdais l’équilibre sur le dos d’une Xelia chancelante dont la fourrure brun-gris s’enveloppait des volutes ténébreuses de cette ombre-dragon-charnier. Je pouvais deviner les reliefs de ma lance brisée, au sol, malgré ma vue flouée par le coup reçu.
Il n’y avait plus que toi pour tenir. Je ne pouvais voir notre ami nulle part. Mais tu étais là, “souple comme un roseau, solide comme un chêne, mortelle comme une Soray”, fidèle à toi-même, évitant griffes et crocs spectraux comme si les lignes jaune pâle de ta peau étaient elles-mêmes immatérielles.
Elles ne l’étaient pas.
Après seulement une vingtaine de secondes de ce ballet incessant au cours duquel tu laminas de ta brinkiard quelques corps de la créature inconnue dans un tourbillon de feuilles rose-argent, une gigantesque patte blafarde et enveloppée de ténèbres te balaya de ses griffes.
Ton hurlement fendit le ciel crépusculaire alors que ton corps s'étendait au sol.
L’amoncellement cadavérique s’effondra aussi vivement que toi tandis que le chaman reparaissait à tes côtés, murmurant immédiatement quelques rituels de guérison.
"Le necroman s'est enfui..." m'expliquait-il simultanément par télépathie.
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