Journal des dames et des modes, n°.58
No. 58.
( 6e. Année. )
20 Messidor, an 10.
Journal des dames
et
des modes.
Ce Journal paroît avec une gravure coloriée, tous les cinq jours ; le 15, avec deux gravures. ( 9 fr. pour trois mois, 18 fr. pour six, et 36 fr. pour un an. ) Les abonnem. datent du 1er ou du 15.
Les environs de Paris.
COUPLET chanté par une Femme à son Mari qu'elle croyait infidèle, en recevant de lui, le jour de sa fête, le bouquet accoutumé.
Air : D'un Bouquet de rommarin.
Jadis la fleur, qu'en ce jour
Ta main me destin,
Doux gage de ton amour,
Charmoit ta Pauline ;
Mais aujourd'hui cette fleur
N'est plus rien pour mon bonheur :
De ta rose la fraîcheur
Me cache une épine.
Réplique du Mari.
Même Air.
Toujours la fleur, qu'en ce jour
Ma main te destine,
Doux gage de mon amour,
Charmera Pauline :
Tu reconnoîtras l'erreur
Qui fit trop gémir mon cœur ;
Et la rose et mon bonheur
N'auront plus d'épine.
B.
Essai sur un nouveau genre de Traduction.
On a beaucoup écrit sur l'art de traduire ; on a fait des milliers de traductions, et à peine en avons-nous quelques-unes de bonnes. Les Anglais vantent l'Homère de Pope ; les Italiens, le Virgile d'Annibal Caro ; nous n'avons à leur opposer que les Georgiques de Delille. Les Dacier, les Sanadon, les Desfontaines ne sont pas supportables pour quiconque peut lire les originaux. Pour moi, je croix avoir découvert un genre de traduction tout nouveau, et sur lequel je ne sache pas qu'on ait encore publié de Traité exprès. Il ne s'agit point ici de langues étrangères, mortes ou vivantes ; il s'agit de traduire ce qu'on nous dit dans notre propre langue ; j'explique. J'ai plus d'une fois remarqué combien il seroit utile, dans le commerce de la vie, de pouvoir saisir la véritable pensée de ceux qui nous parlent ou nous écrivent ; et cela est souvent difficile, non point parce que les gens ne savent pas d'exprimer clairement, mais parce qu'ils ne le veulent pas, et qu'ils sont inintelligibles de dessein formé. Je prends un mot honnête pour désigner ce qu'on personne moins polie que moi appelleroit mentir ; et je dis que pour n'être pas trompé dans mille et mille occasions, il est très-nécessaire de traduire ce que les hommes disent en ce qu'ils pensent. Je conviens que cet art de traduire n'est pas plus facile que l'autre ; et je doute qu'aucun passage de Perse ou de Tacite soit plus obscur que les inversions de l'intérêt et les tournures de l'amour-propre. Je suis loin de m'ériger en docteur dans cet art important ; je laisse d'ailleurs au tems à perfectionner ma découverte. Peut-être moi-même parviendrai-je un jour à réduire cette science en systême ; je ne puis aujourd'hui qu'indiquer quelques préceptes généraux, et les rendre sensibles par des exemples. Toutes les fois qu'un homme parle contre son intérêt, toutes les fois qu'affectant la modestie, il s'accuse lui-même de quelque défaut, prenez-y garde ; il y a presque toujours matière à traduction. De grands complimens, des protestations d'estime, des éloges de votre mérite, veulent dire en d'autres termes qu'on a besoin de vous, et qu'on vient vous demander un service. La plupart des femmes auroient honte ou seroient indignées des flatteries qu'on leur adresse, si elles s'étoient accoutumées dès leur jeunesse à les traduire dans leur véritable sens. En général, le bien qu'on dit des autres a souvent besoin d'explication ou de commentaire ; il n'en est pas de même du bien qu'on dit de soi ; il n'y a pas là d'obscurité, et l'on ne craint que de ne point parler assez clairement. Un homme vient d'être nommé à une place considérable ; vous en rencontrez un autre qui étoit sur les rangs pour le même emploi ; il vous dit pis que pendre du premier ; il n'accuse d'ineptie, d'improbité ; il accumule contre lui les inculpations et les injures ; mais vous parlât-il sur ce ton deux heures entières, tout ce qu'il vous dira se traduit par un seul mot : Envieux. Allez-vous à la Bourse ? vous entendez quelqu'un demander d'un air indifférent : A quel taux sont les effets publics ? A-t-on du papier sur Gènes, sur Livourne, sur Hambourg ? A combien le fait-on aujourd'hui ? Ne vous pressez pas de répondre ; l'enquêteur sait mieux le cours que vous ; mais il cherche quelqu'un qui ne le sache pas, afin de lui vendre plus cher. Traduisez sa question par celle-ci : Voulez-vous du papier sur Gènes, sur Livourne, etc..... j'en ai à placer. Un homme dit de Céphise, que c'est une bonne enfant, et qu'il a passé l'été dernier, quelques jours délicieux à la campagne avec elle ; il ajoute qu'elle a la peau très-fine et très-douce, la jambe parfaitement belle ; il s'arrête et sourit.... Cela se traduit littéralement par : Je suis un fat. Un mari me disait l'autre jour que sa femme avait des dispositions merveilleuses pour les mathématiques, qu'un jeune savant de ses amis avait la complaisance de venir les cultiver, que depuis trois mois il s'enfermait presque tous les jours au moins deux heures avec elle, et qu'il lui avait dit dernièrement que Madame commençait à résoudre les équations du second et du troisième degré.... Je n'ai pas voulu traduire ce discours au confiant époux. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .A.....
La Jalousie
Air : De la Soirée orageuse.Un jour tomba dans la tristesse ;
Il n'éprouvoit plus de desir ;
Il n'inspiroit plus de tendresse.
Pour le guérir de sa langueur
Jupin consulta la Folie,
Et pour réveiller le dormeur,
Elle inventa la Jalousie. Ce moyen réussit d'abord
Et guérit sa mélancolie ;
Mais ce remède un trop fort,
Fit naître une autre maladie.
Et l'Amour, le plus doux des Dieux,
Tombant en noire frénésie,
Devint méchant et furieux
Dès qu'il connut la Jalousie. Vénus tremblante pour son sort,
Enfin invoqua la Sagesse ;
C'est quand l'Amour est à la mort
Qu'on appelle cette Déesse.
Plaignez, dit-elle, mon malheur !
Mon enfant va perdre la vie :
Il alloit périr de froideur,
Il va mourir de Jalousie. Minerve alors lui répondit :
Je connois vos justes allarmes ;
L'Amour, hélas ! je vous l'ai dit,
Vous fera verser bien des larmes ;
Toujours trop froid ou trop ardent,
Les excès consument sa vie :
Mais pour lui je crains plus souvent
La langueur que la Jalousie. Il en a trop, je le vois bien ;
L'ardeur qu'il ressent est cruelle ;
Mais cependant ne craignez rien,
Il se rafraichit d'un coup d'aile.
Par ce moyen rapidement
Cette fièvre sera guérie,
Mais il doit garder prudemment
Un petit grain de Jalousie. Belles, profitez chaque jour
De cet avis de la sagesse ;
Vous qui faites naitre l'amour,
Entretenez sa douce ivresse.
Gardez-vous bien de le trahir,
Vous exciteriez sa furie ;
Mais pour l'empêcher de languir,
Donnez un peu de jalousie.
L. P. SÉGUR aîné.
Monsieur l'Observateur, j'ai le bonheur de posséder le plus joli petit bichon qui existe dans la nature. Son intelligence tient du prodige ; son caractère est enchanteur, ses oreilles et sa queue sont admirables ; son savoir égale celui d'un professeur, et sa décence celle d'une none. C'est ma société la plus habituelle, la plus chère et la plus sûre ; aussi tout est commun entre nous : mon appartement est le sien ; tous les soirs. Mon mari, qui m'aime beaucoup, aime aussi beaucoup ma coquette, et s'acommode parfaitement de mes fantaisies ; et moi, j'aime mon mari presqu'autant que mon bichon. Vous sentez, Monsieur l'Observateur, que je ne néglige rien pour conserver entre nous trois cette bonne intelligence. Le matin, chocolat pour mon mari, bonbons pour ma Coquette ; caresses pour l'un, baisers pour l'autre, rien n'est épargné. Il n'y a qu'un seul inconvénient que je n'ai pu éviter. Quelque peine que je me donne pour la toilette de mon bichon, je n'ai pu le délivrer des importunités d'un petit insecte sémillant, qui se plaît à tourmenter les bichons et leurs maîtresses. J'ai employé toutes les ressources de l'art ; sels, essences, savon des sultanes, recherches exactes et scrupuleuses, rien ne m'a réussi. Malheureusement, mon mari n'aime pas les puces, et quand quelqu'une lui donne la préférence sur moi, il se fâche ; et comme j'ai le cœur aussi tendre qu'il a la peau blanche et sensible, ses plaintes m'affligent, et mes yeux qui s'humectent facilement de larmes, en contractent une légère rougeur, qui en diminue l'éclat, car je les ai fort beaux. Le désir de conserver mes yeux et la paix dans mon ménage, m'a fait songer aux moyens de délivrer le beau sexe et les bichons de l'ennemi subtil et fugitif qui les tourmente également. Mais je sens bien, M. l'Observateur, que toute mesure particulière seroit inutile ; que c'est une guerre en grand qu'il faut entreprendre. Vous avez annoncé l'heureuse formation d'une coalition contre le royaume des taupes, et vous avez justement célébré les triomphes qui ont honoré les premiers chefs de cette glorieuse expédition. Ne seroit-il pas possible de former une entreprise semblable contre les puces ? Si les taupes attaquent les propriétés, les puces n'attaquent-elles pas les propriétaires ? et si les taupes vivent aux dépens de nos moissons, les puces ne vivent-elles pas aux dépens de notre sang ? Je crois donc, M. l'Observateur, que ce seroit un projet honorable que de former incessamment une école particulière pour la préhension et l'anéantissement des puces. On pourroit créer des compagnies légères qui étudieroient le caractère, les ruses et la subtilité de la puce ; qui apprendroient à suivre tous ses mouvemens, à la saisir dans sa fuite, à la relancer dans ses embuscades. Chaque cavalier devroit être doué d'une vue perçante, d'une main légère, d'un tact très-fin et très-exercé. Le chef-lieu de l'école pour la préhension des puces, seroit de droit placé à Picpus ; les élèves auroient un uniforme dont la couleur indiqueroit leur destination ; après leurs études, on les placeroit dans les salons, dans les boudoirs, auprès des dames ; ce seroient leurs sigisbés les plus utiles, les plus assidus ; chaque petite chienne favorite, bichon, épagneul, ou carlin, seroit vigoureusement visitée, épluchée, délivrée ; et lorsque l'on seroit parvenu à les sauver des attaques de leur ennemi, il resteroit peu de chose à faire auprès des dames. Alors les bichons pourroient coucher avec leurs maîtresses ; le repos de la nuit ne seroit plus troublé ; les maris ne gronderoient pas, et tout en iroit mieux dans le monde. Vous sentez, M. l'Observateur, tout ce qu'il y a de piquand dans ce projet. Je desire qu'il puisse plaire au cit. C. de V. comme à vous, et que vous commenciez incessamment une guerre qui ne peut que vous procurer des conquêtes fort aimables, et des triomphes plus galans, que ceux qui regardent la préhension et le déconfiture des taupes.
LODOISKA B.
(Extrait de l'Observat. des Spectacles.)
(Extrait de l'Observat. des Spectacles.)
Impromptu
Sur un Ruban brun donné par Mad. * * *
Ruban que j'ai reçu de la main la plus belle,
A mes regards charmés tu deviens un trésor.
Ce n'est pas que sur toi l'acier, l'argent ou l'or
A mes regards charmés tu deviens un trésor.
Ce n'est pas que sur toi l'acier, l'argent ou l'or
En reflets birllans étincelle ;
Ce n'est pas qu'avec art ton tissu préparé
Soit chargé de tableaux ou de fleurs soit paré :
Mais, heureux ornement d'une femme admirée,
Par son ordre un instant tu touchas ses cheveux,
Ce n'est pas qu'avec art ton tissu préparé
Soit chargé de tableaux ou de fleurs soit paré :
Mais, heureux ornement d'une femme admirée,
Par son ordre un instant tu touchas ses cheveux,
Et ceignis sa tête adorée
De la souplesse de tes nœuds.
Peut-être de son sein, où l'Amour se repose,
Tu caressas les lys, tu défendis la rose ;
Peut-être de son sein, où l'Amour se repose,
Tu caressas les lys, tu défendis la rose ;
Ou le soir, nocturne bandeau,
Tu fus le confident de toutes les pensées
Qu'en son cœur inquiet vingt jeux avoient laissées.
Tu fus le confident de toutes les pensées
Qu'en son cœur inquiet vingt jeux avoient laissées.
Et le matin au jour nouveau
Tu vis ses yeux s'ouvrir, plus éclatans encor,
Et son bras arrondi sortir encor plus beau
De ce lit fortuné que sa grâce décore.
O Ruban qu'embellit un destin si flatteur,
Quoique trop assuré de son indifférence,
A te garder toujours je mettrai mon bonheur !
Juge ce qu'il seroit, si du moins ta couleur
Tu vis ses yeux s'ouvrir, plus éclatans encor,
Et son bras arrondi sortir encor plus beau
De ce lit fortuné que sa grâce décore.
O Ruban qu'embellit un destin si flatteur,
Quoique trop assuré de son indifférence,
A te garder toujours je mettrai mon bonheur !
Juge ce qu'il seroit, si du moins ta couleur
Etoit celle de l'espérance !
(Ces vers sont attribués à un de nos meilleurs Poètes.)
Explication de la Gravure, No. 398.
Les deux tiers des coeffures sont des fichus en marmotte, plus ou moins avancés sur les joues, noués plus ou moins de côté ; l'autre tiers se compose de plus de vingt coëffures, parmi lesquelles on distingue les chapeaux de paille blanche, dont le bord rabattu est de même que le pourtour du haut de la forme, garni d'un tulle plissé, ou d'une de ces bouillonnures découpées, que l'on nomme rûches ; (on verra un de ces chapeaux sur la gravure du Numéro prochain) — les chapeaux de paille noire, garnie de rubans jonquille ou rose, plus souvent jonquille, coupés actuellement presque par le milieu, ayant, par-derrière, en remplacement de la partie coupée, un fond de satin divisé en coulisses, comme le derrière des capotes ordinaires ; — des chapeaux jaunes de sparterie-paille très-luisante, à calotte haute et plate et à petit bord retroussé par-devant, exactement de la forme des chapeaux de paille jaune, que l'on portoit il y a trois mois ; — les bonnets du matin en crêpe blanc, garnis de tulle ou d'une rûche de crêpe, presque tous à mentonnière, garnie sur les deux bords ; les capotes de lilas garnies d'une large dentelle ; — les indigentes chevelures à la Titus ; — les voiles de dentelle ; — enfin les coëffures en cheveux lisses, tournés par-derrière en spirale et ornés d'un peigne à ceintre d'or, ou d'une longue épingle à tête ovale et plate, renfermant un camée : nous avons vu, sur le devant d'une coeffure de ce dernier genre, un diadême de mousse. Les couleurs des rubans sont lilas, jonquille et rose. Les rubans lilas sont souvent chinés en jaune, les autres sont unis. Les trois quarts et demi des élégantes portent des manches larges et longues ; elles trouvent à ces manches bouffantes tant de grâce qu'elles les adaptes à des spencers. La mode des corsages bouffans et des tailles très-basses, se généralise. On voit davantage des robes sans queue que l'on n'en avoit encore vu ; enfin l'anglomanie fait tous les jours des progrès.
Tout ce qui est relatif à ce Journal, doit être adressé, port franc, au citoyen Lamésangère, rue Montmartre, n°. 132, près celle du Mail, vis-à-vis le café de la Victoire.
Dans ce numéro :
- C'est l'été, en juillet on va à la campagne. Guide de visite.
- Deux couplets à chanter pour un couple.
- La traduction de ce que pensent les hommes, en ce qu'ils disent.
- "La Jalousie", air mythologique de Louis-Philippe Ségur, dit Ségur l'aîné
- Retweet du courrier des lecteurs de L'Observateur des Spectacles : un petit troll sur la création d'une Ecole de Préhension des Puces
- Impromptu, vers de salons sur un ruban donné
Authoring Date
9 juillet 1802
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