Milton
Opéra en un Acte
de MM. Jouy et Dieulafoy
Mis en Musique
par
Gaspard Spontini,
Chevalier de l'Ordre Royal de la Légion d'Honneur et de l'Ordre de la Maison de S.A.R. le Grand Duc d'Hesse-Darmstadt, Compositeur Dramatique ordinaire du Roi de France, Pensionné de Sa Majesté, Ier Maître de Chapelle Honoraire de S.M. le Roi de Prusse, Membre de l'Académie Royale de Musique de Suède, &c. &c.
Représenté pour la première fois sur le Théâtre de l'Opéra Comique le 27 Novembre 1804. –
Prix 36 F.
Parties Séparées 30 F.
A PARIS,
Chez Melles Erard, Rue du Mait, N°.13
Propriété des Editeurs.
Dépée à la Don Gle de la Librie
Personnages
MILTON, vieillard, poëte, aveugle .
Mr. SOLIÉ .
EMMA, sa fille .
Mme. GAVAUDAN .
Lord DAVENANT, sous le nom d'ARTHUR .
Mr. GAVAUDAN .
GODWIN, Quaker, juge-de-paix .
Mr. CHENARD .
Miss CHARLOTTE, sa nièce, fille surannée, demi-caricature .
Mme. CRÉTU .
Un JOCKEI du Lord .
Un DOMESTIQUE de la maison .
GENS à la livrée du Roi .
La Scène se passe en Angleterre, au village d'Hoston,
comté de Buckingam.
Costumes du tems de Cromwel et de Charles II.
Milton
Le Théâtre représente le cabinet de Milton; deux cabinets, dont l'intérieur est apperçu, ornent parallèlement les deux côtés : on voit une harpe dans l'un des deux, l'autre est censé faire partie de l'appartement du Quaker. Plusieurs pots de fleurs sont rangés sur les rayons de la bibliothèque.
SCÈNE PRÈMIRE. EMMA, Miss Charlotte.
(Elles entrent portant des pots de fleurs qu'elles déposent sur le bureau de Milton.)
EMMA. Non, Mademoiselle, non, cela n'est pas bien, je le vois, je le sens, et il faut enfin que cela finisse.
CHARLOTTE. Je crois me connaître en scrupules, Mademoiselle, mais en vérité, je n'entends rien aux vôtres. Où donc est le mal, s'il vous plaît ?
EMMA, Où est le mal d'abuser de la cruelle infirmité de mon père pour introduire chez lui, en qualité de lecteur, de sécretaire, un jeune homme que l'on fait passer pour un vieillard ; d'être obligé pour appuyer un premier mensonge, d'en faire chaque jour de nouveaux ; de placer mon père, cet homme respectable, dans une position ridicule, avec un étranger que je ne connais pas, que vous ne connaissez pas vous-même....
CHARLOTTE,
(soupirant) Hélas !
EMMA. Plaît-il ?
CHARLOTTE. Ce n'est rien, Mademoiselle, ce n'est rien.
EMMA. Et quel moment encore choisissez-vous pour vous jouer de la crédulité de mon père ? Celui où cet illustre malheureux, proscrit, persécuté, est obligé de se cacher dans votre maison pour se soustraite aux atteintes de ses ennemis ; vous avez beau dire, miss Charlotte, cette conduite est au moins bien imprudente.
CHARLOTTE. Je ne croyais pas, Mademoiselle, que la nièce du docteur Godwin, le Quaker le plus laconique et le plus circonspect du comté de Buckingham méritât jamais le titre d'imprudente ; mais vous, vous exagérez aujourd'hui ce qui vous parut d'abord tout aussi simple qu'à moi. Monsieur Milton est aveugle, il ne peut se passer d'un lecteur versé dans les langues savantes, pour remplacer mon oncle que les dangers de son ami obligent à de fréquens voyages. Monsieur Arthur se présente, il est malheureux, orphelin, il a toutes les connaissances qu'on exige ; fallait-il parce qu'il a une figure plus agréable, plus fraîche que le commun des savans, parce qu'il n'est pas aussi vieux que M
r. Milton l'aurait souhaité, fallait-il pour cela lui refuser un place qu'il sollicitait avec tant d'instance, qu'il remplit avec tant de distinction, où tout le monde, excepté vous, le voit avec tant de plaisir.
EMMA,
(d'un ton gêné.) Excepté moi ?
CHARLOTTE,
(avec chaleur) D'ailleurs, Mademoiselle, ne se rend-il pas utile à tout le monde, à vous-même. Depuis deux mois qu'il est dans cette maison, quels progrès n'avez-vous point fait dans la Musique, dans le dessin, pour lequel vous avez prit tant de goût depuis qu'il vous l'enseigne.
EMMA,
(vivement) Je l'avais toujours aimé, Mademoiselle, mais j'aime encore plus mon devoir ; c'est lui qui me rappelle à chaque instant que les services de M
r. Arthur n'eussent point été accéptes, si mon père avait connu son âge. Ainsi j'espère qu'avant le retour de votre oncle dont l'estime ...
CHARLOTTE,
(l'interrompant.) Oh ! Mademoiselle, n'ayez aucune crainte ; mon oncle m'aime, je lui ai mandé tout ce qui se passe ; et je suis bien sûre que lorsqu'il aura appris le motif secret . . . .
EMMA. Quel est donc ce mystère ?
CHARLOTTE
(de même.) Hélas ! Mademoiselle, je vois bien qu'il n'est plus possible de vous le cacher ; vous savez avec quel scrupule j'avais écarté jusqu'ici tout projet d'hymen ; l'idée seule du mariage me semblait porter atteinte à cette pureté, à cette innocence de mœurs donc je voulais laisser un grand exemple.
EMMA. Eh bien ?
CHARLOTTE. Vous le dirai-je, ma chère Emma ? ce M
r. Arthur si savant... si modeste... mais en même temps si noble, et d'un goût si exquis...
EMMA. Achevez donc !
CHARLOTTE. Je crois qu'il m'aime.
EMMA. Il vous aime, vous ?
CHARLOTTE. Je ne l'espérais pas avant d'en avoir la certitude.
EMMA. Hé quoi ! il vous a dit...
CHARLOTTE. Je vous prie de croire que ses témérités n'ont pas encore été jusques-là mais le cœur n'a-t-il qu'une manière de s'exprimer ?
(Air.)
Sans le secours d'un vain langage l'amour trahit ses vœux secret, l'amour trahit ses vœux secrets. Le sentiment que l'on partage croyez-moi ne trompe jamais, croyez-moi ne trompe jamais, croyez-moi ne trompe jamais.
Pour parler à ce qu'on adore pour parler à ce qu'on adore, le regard vaut mieux que la voix, le coeur a tout dit mille fois la bouche n'a rien dit encore. Le coeur a tout dit, a tout dit mille fois, la bouche n'a rien dir, rien dit encore.
Sans le secours d'un vain langage l'amour trahit ses voeux secrets, l'amour trahit ses voeux secrets, l'amour trahit ses voeux secrets. Le sentiment que l'on partage, croyez-moi ne trompe jamais, ne trompe jamais, ne trompe jamais, ne trompe jamais, ne trompe jamais.
Enfin après de mûres réflexions sur la conduite et les talens de ce jeune homme, assurée du consentement de mon oncle, je me suis décidée à recevoir son hommage, et je désirerais qu'il restât ici jusqu'à ce qu'il ait hasardé la déclaration que j'ai déjà plus d'une fois surprise sur ses lèvres.
EMMA,
(toujours avec un étonnement pénible.) Il vous aime ?
CHARLOTTE. J'en suis certaine.
EMMA,
(avec abattement.) Il peut rester.
CHARLOTTE,
(vivement.) Que vous êtes bonne !
EMMA. J'entends quelqu'un : qui peut donc venir de si bonne heure ?
CHARLOTTE,
(regardant à la porte du fond.) Hé ! mon Dieu, c'est mon oncle qui arrive.
EMMA. Je cours l'annoncer à mon père ; en attendant, M
lle, veuillez vous arranger avec votre oncle, de manière à ce que je ne sois pas punie de ma folle condescendance.
(Elle sort par le fond à droite.)
CHARLOTTE. Oh ! je réponds de tout, de tout absolument.
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