Marguerite la Noire

Marguerite naît en 1202 en Hainaut. Elle est la deuxième fille de Baudoin, le comte de Flandre et de Hainaut, et de sa femme Marie. A cette époque, son père est croisé, et sa mère le rejoint dès que Marguerite est sevrée (1204) en confiant ses petites Jeanne et Marguerite à son beau-frère Philippe le Noble, marquis de Namur, avec la régence des comtés. Cependant, Philippe se retrouve en guerre contre la France et, capturé, doit jurer fidélité, épouser une fille de Philippe Auguste et confier les filles à la cour des lys. Pendant que Flamands et Hennuyers se révoltent et le forcent à renoncer à la régence, les petites se retrouvent sous la garde d'Enguerrand le Bâtisseur, un solide gaillard de 22 ans marié depuis deux ans à Matilda of Saxony, nièce de Richard Coeur de Lion et veuve du comte de Perche. Dans ces années, la mort de leur père et mère en Terre Sainte en 1205 et 1204 parvient en France : Jeanne hérite de la Flandre et Marguerite du Hainaut.
Pendant 8 ans, Marguerite et Jeanne grandissent ainsi auprès d'Enguerrand, tantôt à Coucy (entre Laon et Soisson), tantôt à la cour de France, le plus souvent sous la garde de l'épouse du sire. Matilda meurt en 1209 alors que Jeanne et Marguerite ont 9 et 7 ans. Enguerrand reste célibataire et les filles sont élevées par sa suite, mais quand Marguerite atteint 10 ans, elle est confié à un parent, Bouchard d'Avesnes (il est le beau-frère d'Alix de France, soeur de Philippe Auguste, époux d'Isabelle de Hainaut, tante de Marguerite), bailli du Hainaut et sous-diacre de l'église de Laon. Nous sommes en 1212 et Bouchard épouse aussitôt Marguerite. Si Philippe Auguste a dit oui, tel n'est pas le cas des comtes de Flandre, Jeanne et son mari Ferrand, Bouchard avait reçut une ordination... Il envahit rapidement les territoires d'Avesnes tenus par son frère Gautier, puis le comté de Flandre pour que Jeanne donne son accord et dote sa soeur ; à la bataille de Bouvines en 1214, les deux hommes sont capturés, mais Bouchard parvient à s'échapper et de retour sur ses terres fait face à un doute général sur sa condition ecclésiastique et potentielle excommunication. Innocent III ordonne une enquête après s'être renseigné auprès du roi de France, à la demande fort insistante de Jeanne.
Pendant les premières années, Jeanne est furieuse, mais les filles sont jeunes ; rapidement cependant, Jeanne en appelle à des autorités supérieures et plaide sa cause : le mariage n'est pas légal. Sa sœur était trop jeune, les degrés de parenté sont trop proches, tout y passe. Innocent III condamne le mariage en 1215 mais ne l'annule pas. Il ordonne à la place une séparation de corps ; comme elle ne se fait pas, il les excommunie en 1216. Jeanne envahit, le couple se réfugie dans le Luxembourg où Marguerite donne le jour à un fils, Jean (né en 1218). Un fils plus âgé né en Hainaut meurt en 1219. Les troupes de Jeanne parviennent cependant à capturer son beau-frère en 1219 (l'année de la mort en bas-âge de Baudoin Junior, dont le nom est donné à un petit frère nouveau-né la même année). Jeanne accepte de libérer Bouchard en 1221 s'il laisse partir Marguerite et obtient son absolution, ce qu'il fait. Il se rend à Rome pour se justifier et fait un pèlerinage en Terre Sainte, et ne revoit plus jamais Marguerite.
Jeanne profite de l'absence de Bouchard pour convaincre Marguerite (19 ans) de convoler de meilleures noces avec un homme plus proche de son âge, de meilleure extraction et de meilleur caractère, Guillaume de Dampierre, 25 ans, connétable de Champagne. Cependant, le premier mariage n'a pas été très proprement annulé, et l'on se demande à la cour si Marguerite ne serait pas bigame, ce qui poserait problème ! C'est un peu trop pour Bouchard qui retourne en Italie se fritter avec la pape. Le Saint Empire est secoué presque tous les ans par de nouvelles péripéties de l'aventure tandis que Marguerite coule de beaux jours avec son beau mari et donne naissance à Guillaume (1224), Gui (1225), Jean (vers 1226), et Jeanne (vers 1226). Cette dernière année, Bouchard se voit dire par le pape de reprendre son état ecclésiastique. Il rentre en Flandre et disparaît de la circulation, persuadé que la comtesse Jeanne veut le faire exécuter (il n'a pas tort). Certains disent que Jeanne le trouve et le fait décapiter, d'autres qu'il parvient à se déguiser quelques années.
Marguerite perd son mari Guillaume en 1231. Ses enfants ont entre 13 et 5 ans, elle en a 29 ; elle pourrait se remarier mais juge que l'affaire est déjà bien trop compliquée. Et puis elle était tombée amoureuse et ne veut pas d'un autre homme.
En 1236 et 1239, le pape Grégoire IX dissous le premier mariage de Marguerite : ses fils Jean et Baudoin ont 18 et 17 ans. Les fils d'Avesnes se disputent alors violemment avec leur mère, quittent le foyer, et décident de plaider eux-mêmes leur cause ; Marguerite, dans un mouvement de fureur, de dépit et aussi de retour de marteau à l'encontre de Bouchard, les déshérite une première fois et les traite de bâtards et d'enfants de viol et d'inceste.
En 1239, Marguerite arrange le mariage de Jeanne avec le comte Hugues de Rethel, et fait inclure dans le contrat que la dot doit retourner à la famille de Hainaut en cas de mort de Hugues sans enfant, ce qui arriva. C'est elle aussi qui a ensuite remarié Jeanne à Théobald, comte de Bar, en 1245. Jeanne meurt malheureusement peu de temps après.
Pendant ce temps, en mars 1243, Jean et Baudouin obtiennent la reconnaissance de leur légitimité par l'empereur Frédéric. Quelque part dans ces années, Baudouin épouse Félicité, nièce d'Enguerrand de Coucy, qui a presque son âge.
En 1244, à la mort de sa sœur, Marguerite lui succède et devient comtesse de Flandre et de Hainaut ; elle désigne comme héritier universel Guillaume, son fils aîné né de Dampierre (21 ans). Comme elle n'est plus toute jeune (43 ans) et que les querelles se poursuivent, parfois poliment (ses fils aînés font en grande pompe donation d'une rente à l'abbaye de Clairefontaine pour le repos de l'âme de leur père, Bouchard, en 1245) et parfois dans le sang, le roi Louis IX arbitre alors en 1246 les droits de succession entre les enfants du premier, et ceux du second lit de Marguerite, et attribue aux aînés le Hainaut et aux cadets la Flandre. Baudouin d'Avesnes reçoit la seigneurie de Beaumont en apanage.
Jean épouse le 9 octobre 1246, bien évidemment sans l'accord de sa mère, Alix, sœur du comte de Hollande, qui en 1247 est élu Roi des Romains. La même année, Marguerite marie son fils Guillaume de Dampierre à Béatrice de Brabant, fille du duc de Brabant et veuve du Landgrave de Thuringe et Roi des Romains, vis-à-vis évident du mariage de Jean. Le père de la mariée, comme le frère de la précédente, s'occupe principalement de ses terres et est disponible pour s'impliquer - mais meurt finalement dès 1248. En 1246 toujours Guy de Dampierre épouse Mahaut de Béthune, héritière du seigneur de Béthune, Termonde, Richebourg et Warneton, un chevalier et seigneur d'Artois qui a servi en Flandre les rois d'Angleterre, mais qui part en croisade en 1248 et meurt lui aussi en route.
Le conflit monte alors en chaleur et en violence ; les d'Avesnes conquièrent Rupelmonde, où l'on dit que leur père a été discrètement décapité par Jeanne voilà vingt ans, ravagent le Waes et les environs. Guillaume le comte de Hollande étant un allié d'Innocent IV, contre l'empereur Frédéric, il obtient que le pape, à son tour, restitue la légitimité des fils aînés en 1250. Cette reconnaissance mène à la signature d'un accord entre Jean et Baudouin d'Avesnes, d'un côté, et Marguerite et ses cadets, de l'autre. Jean prend officiellement le titre d'héritier du Hainaut, s'y installe et semble se calmer. Il participe à l'administration. Son frère l'assiste. Guillaume participe aussi, pour la Flandre, où il est associé comte.
Marguerite s'occupe de chapeauter le tout et fait plus ample connaissance avec ses bru, Alix et Félicité, et avec ses petits-enfants : Jean (2 ans) et le bébé Baudouin, les enfants d'Alix et Jean, et Béatrice (6 ans) et Jean (4 ans), les enfants de Félicité et Baudouin. Elle marrie son dernier fils, Jean de Dampierre, 24 ans, à Laure, fille du duc de Lorraine, qui malade, meurt un an après en 1251.
Le conflit reprend de plus belle en 1251. Le 6 juin, lors du tournoi de Trazegnies, Guillaume, le fils aîné du second lit de Marguerite, meurt à 27 ans, piétiné par des cheveux ; pendant que Marguerite prend le deuil, ses fils cadets, Gui et Jean, accusent leurs aînés et en particulier Baudouin d'avoir fomenté l'attentat et déclarent de nouveau la guerre. Marguerite les suit au combat et participe à la direction des opérations. Jean d'Avesnes, âgé de 35 ans, convole avec le frère de sa femme, Guillaume comte de Hollande et roi de Germanie, pour s'emparer du Hainaut et autres terres d'Empires. Après une guerre civile, les troupes de Marguerite sont battues à West-Capelle le 4 juillet 1253, et ses fils Gui et Jean de Dampierre sont faits prisonniers.
Marguerite tente alors en 1254 de vendre le Hainaut à Charles d'Anjou, comte d'Anjou et du Maine et frère du roi de France. Un an plus jeune que Jean de Dampierre, soit 27 ans, il est un prince vigoureux qui a déjà fait ses preuves militaires, s'est croisé et est revenu, a soumis la Provence et est pressenti pour devenir roi de Sicile ; Marguerite veut qu'il organise une expédition dans le Hainaut, ça fera les pieds à ses fils aînés. Charles prend Valenciennes et fait le siège de Mons, face à un Jean d'Avesnes qui ne reçoit pas vraiment d'aide de son beau-frère le comte de Hollande mais tente des choses (reprendre Valenciennes, obtenir l'aide du roi d'Angleterre... sans succès). Guillaume de Hollande est tué en 1256 mais les frères de Dampierre restent prisonniers et Charles piétine. Louis IX revient alors de croise et impose la paix par le Dit de Péronne le 24 septembre : Charles renonce au Hainaut et reçoit un dédommagement numéraire de Marguerite, Jean garde le comté moins quelques territoires, les frères de Dampierre sont libérés, Gui proclamé comte par sa mère. Jean de Dampierre est vicomte de Troyes, et connétable de Champagne. Jean d'Avesnes doit morner le lion de ses armoiries (retirer sa langue et ses griffes).
Le 22 novembre 1257, Marguerite qui en a vraiment par-dessus la tête voit avec plaisir ses fils entendre raison et signer un acte dans lequel les uns comme les autres se contentent de ce que Louis IX avait arbitré en 1246. La réconciliation est cependant endeuillée par la mort de Jean d'Avesnes à la veille de Noël 1257, à l'âge de 39 ans ; sa veuve, Alix, quoi que jeune elle aussi (35 ans) ne se remarie pas. Malgré la jeunesse de ses enfants (l'aîné, Jean, a 9 ans), elle s'efface et laisse Marguerite diriger les opérations en Hainaut ; un an plus tard, elle-même devient gardienne de Hollande et de Zélande pour son neveu à la mort de son frère. Les deux femmes s'apprécient mutuellement et reconnaissent leur valeur ; elles travaillent bien côte à côte et sans ingérence. Baudouin d'Avesnes, lui, reste auprès de Marguerite et devient un conseiller de son entourage.
En 1260, âgée de 58 ans, Marguerite fonde l'abbaye Sainte-Elisabeth du Quesnoy.
En 1263, Guy achète à Baudouin de Courtenay ses droits sur le marquisat de Namur ; mais Henri de Luxembourg conquiert le fief. Marguerite envoie alors Baudouin assister son frère, défendre le château contre le comte de Luxembourg et réunir la ville au comté de Flandre. Satisfaite de son travail et avec quelques envies de continuer à chouchouter ce fils longtemps perdu, tout en restant raisonnable, elle lui donne en retour la seigneurie de la Roche, tandis que le comté de Namur va à son fils Guy de Dampierre, veuf de quelques mois, suite à un traité de paix scellé par le mariage de Guy et de la fille d'Henri, qui hérite des droits sur Namur. La demoiselle a le même âge que le fils aîné de Guy, qui a déjà huit enfants !
Marguerite voit avec un respect teinté d'horreur son fils Guy accompagner Louis IX en Afrique en 1270.
Marguerite abdique en 1279, sentant le grand âge et espérant passer de derniers jours tranquilles. Elle meurt en 1280 à 78 ans.