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Anthologie sur l'hydropisie

Ambroise Paré, Les Œuvres divisées en 28 livres, 1585

Livre 8. Des Tumeurs en particulier. CHAP. XI. De l'Hydropisie.

Hydropisie est nommee en Grec Hydrops, ou Hyderos, parce que sa cause materielle est eau ou humeur aqueux, que les anciens appellent Hydor. Pour bien definir cette maladie, nous dirons que c’est vne tumeur contre nature, faite d’abondance d’eau, de vẽtosité ou de pituite assemblee, quelquesfois en toute l’habitude du corps, autrefois en quelque partie, mais le plus souuent dans le ventre inferieur, à sçavoir en la capacité & espace qui est entre le Peritoine & les intestins. De là viẽt, pour raison de la matiere & du lieu, qu’il y a diuerses matieres & especes d’hydropisie. Et premierement celle qui rẽplist l’espace vuide du ventre, est ou humide, ou seiche. L’humide est nommee Ascites, pour le semblance d’vn vaisseau dit en Grec Ascos, de la façon de ceux qui sont faicts des peaux de boucs ou chéures pour y mettre de l’eau, du vin, ou de l’huile, parce que l’eau est cõtenue dans le Peritoine, comme dans vn tel vaisseau. L’hydropisie seiche est appellee par les Grecs Tympanites ou Tympanias, à raison qu’estant en icelle le ventre enflé de ventosité, si on le frappe, il rend vn son approchant d’vn tambourin. Mais quand toute l’habitude du corps est pleine de phlegme blanc, on l’appelle Anasarca, ou Leucophlegmatia. Elle commence premierement és parties inferieures, comme estans plus promptes à receuoir la fluxion, & eslongnees de la chaleur naturelle : si on les comprime auec les doigts, le vestige d’iceux y demeure, & le malade est tout bouffi, ayãt la couleur du visage toute blaffarde. Elle differe des deux autres : car en icelles le ventre s’enfle le premier, puis les parties inferieures. Voyla quãt aux hydropisies generales & vrayes : mais il s’en fait aussi de particulieres, qui prennent leur nom de la partie, en laquelle s’amasse l’humeur aqueux, comme en la test Hycrocephalos, à la gorge Bronchocele, en la poictrine Pleurocele, és bourses Hydrocele, & ainsi des autres. Neantmoins toutes ont vne mesme cause efficiente, qui est l’imbecillité ou empeschement des facultez, principalement alteratrice & concoctrice du foye, prouenante de scirrhe & dureté d’iceluy, ou des petits bubes pleines d’eau, qui s’engẽdrent en la membrane qui l’enueloppe, mesme de toute sorte d’intemperature grande, & principalement de la froide, qui a premierement commencé audit foye, ou a succedé à l’intemperie chaude par dissipation de la chaleur naturelle, & telle hydropisie est incurable : ou est suruenue par communication du vice d’vne autre partie superieure ou inferieure. Comme quand vne partie, auec laquelle le foye a connexion, est vexee d’intemperature grandement froide, consequemment le foye en refroidit. Et si c’est à cause des poulmons, du diaphragme, ou des reins, le mal est aisément apporté & receu és parties gibbeuses d’iceluy par les rameaux de la veine Caue, qui issent & respondẽt à cest endroit. Mais si cela vient de la ratte, estomach, mesentere, ou intestins (entre autres du Ieiunium & Ileon) la communication se fait à la partie caue par les veines mesaraïques, & autres rameaux de la veine Porte. Par ce moyen les asthmatiques, phthisiques, spleniques, icteriques, voire les phrenetiques, tombent en hydropisie : & pour le dire en vn mot, tous ceux ausquels ou le sang pur, menstruel, ou hemorrhoïdal viudé outre mesure ou supprimé esteint ou amoindrit la chaleur naturelle, ainsy que le feu se meurt ou esteint par trop ou à faute de bois. Autant en faut-il estimer des excremens du ventre & de la vessie, lors qu’ils sont immoderément viudez ou retenus : Aussi des viandes prises en trop grande ou petite quantité, trop froides, sans ordre, sans besoing : de peu dormir, de la mauuaisse condition & estat de vie : bref de toutes les choses externes, esquelles se peut commettre erreur en ceste partie. Or Ascités est distinguee de deux autres autres especes, tant par la grandeur de la cause efficiente, qui est l’intemperature froide, que vehemence des symptomes, comme de l’appetit perdu, ou corrompu soit inextinguible & tumeur du ventre : D’auantage, que si l’on vient à mouuoir le corps, ou à secouer le ventre, l’on entend l’eau flotter dedans, comme si c’estoit vn vaisseau demy plein. Et selon que le malade change de situation, ou que l’on presse le ventre auec les doigts, l’humeur descend ou mõte, tousiours empressant les cõduits : de faict, s’il monte, il amene difficulté de respiration & toux, & quelquesfois monte & regorge en la capacité du thorax, & cause les mesmes accidens qui suruiennent en l’empyéme : & souuent aussi les malades par le mouuement desdites aquositez, qui fluent & refluent, semblent estre esleuez en l’air, comme si l’on se plongeoit en l’eau : ce que i’ay sceu par leur recit, & non par aucun autheur. Si lesdites aquositez descendent, elles empeschent l’issue de l’vrine, & des excremens du ventre, par compression des orifices de l’vn & l’autre excremens du ventre, par compression des orifices de l’vn et l’autre excrement. D’auantage, le malade estant couché à la renuerse, la tumeur est moins apparente : parce que l’eau se respand çà & là. Le contraire aduient quand il est debout, ou en son seant, d’autant que l’eau tombe tout en vn tas au petit ventre, là où le malade sent vne pesanteur. Les parties hautes du corps amaigrissent par faute de sang qui soit de qualité & consistence requise pour bien nourrir, & les basses enflẽt par defluxion d’humeur sereux & pituiteux sur icelles. Le poulx est petit, hastif, dur, auev quelque tension. Ceste disposition est de longue curation, & le plus souuent incurable, principalement à ceux qui l’ont apportee du ventre de leur mere, qui ont l’estomach depraué, cachectiques, & de mauuaise habitude és vieilles personnes, & generalement tous ceux qui ont le vertu debile & languide : Au contraire, les ieunes gens robustes qui n’ont point de fiéure, & deuant que la matiere ou eau soit pourrie, & que le foye & les autres parties soyent fort alterees, qui peuuent porter le trauail & exercice requis à la curation d’vn tel mal, peuuent receuoir curation.

Livre 8. Des Tumeurs en particulier. CHAP. XII. De la curation de l'Hydropisie.

La curation se doit commencer par les plus aisez & benins remedes, qui sont la diete & medicamens, auant que venir à la paracẽtese. Or nous laisserons aux doctes Medecins à corriger l’intemperie du foye & des autres parties principales, & à ordonner vne diete desseichante auec les medicamens hydragogues, c’est à dire, qui vuident l’eau, tant par les selles que par les vrines. Hippocrates commande leur donner ceste pouldre. 4. cantharid. ablatis capitibus & alis ǯß. comburant. in furno, & fiat puluis, de laquelle en soiẽt donnez deux grains en vin blanc. Car on a veu maintesfois nature aidee par tels moyens, guarir entierement l’hydropisie. Et pour auancer la cure, nous excitons quant-&-quant aucunesfois la partie enflee à faire quelque resolution d’vne partie de l’humeur, en y appliquant les medicamens fort discutiens, comme sachets, baings, linimens & emplastres. Les sachets seront faicts ex macris furfuribus, auena, sale, sulphure calidis, ou à faute de ceux cy, ex arena, sabulo, cineribus sæpius calefactis. Les baings plus excellens sont les eaux naturellemnt salees, nitreuses, & sulphurees, ou preparees par artifice, en y mettant du sel nitre & soulphre fondus, & si l’on y veut faire bouïllir de l’aneth, ruë, mariolaine, fenoil, stœchas & semblables, ils en vaudront mieux. Les linimens se feront d’huile de ruë, d’aneth, de laurier & scillitic, ausquels l’on aura fait bouillir vn peu d’euphorbe, pyretre ou poyure. On composera l’emplastre ex thure, myrrha, terebenthina, costo, granis lauri, cypero, melle, stercoribus bubulo, columbino, caprino, equino, & similibus, quæ vel per se imponi poterunt. Si le mal perseuere, faut passer aux sinapismes, aux phœnigmes, c’est à dire, medicamens rubricatifs, & physegines, c’est à dire, vesicatoires, ou qui excitent des vessies, lesquelles seront coupees & ouuertes pour en laisser couler l’eau peu à peu, & si longuement, que toute l’humidité soit consommee, & que le malade guari de l’hydropisie. Quelques patriciens ayans leu en Galien liure I. de facultatib. naturalibus, les laboureurs d’Asie, lors que des champs ils portent le bled en la ville, ayans enuie d’en desrober quelque portion, sans que leur larcin soit descouuert, auoit de coustume de cacher dans les sacs dudit bled, des bouteilles pleines d’eau : var de là aduenir que le bled attirant par le trauers de la terrestrité du vase l’humidité en soy, se gonfle, dont is se monstre plus enflé & plus pesant ; ayans, dy-ie, leu telle chose dans Galien, ont pensé que le bled a puissance d’attirer les eaux, & que qui enseueliroit vn hydropique dedans, on verroit lesdites eaux en bref consumees & taries.
 
Si tout cela ne sert de rien, on viendra à l’operation manuelle, qui est le dernier remede, que les Chirurgiens appellent par vn nom Grec, Paracentese. Or deuant que de mõstrer comme il nous semble qu’elle se doit faire, il ne sera hors de propos, d’amener icy les diuerses opinions des anciens, touchant icelle operation : Car les vns l’abhorrent, & les autres l’approuuent : & certes il y a quelques raisons de part & d’autre, lesquelles nous soudrons par mesme moyen. Ceux doncques qui reprouuent la Paracentese, disent qu’elle est dommageable pour trois incommoditez. La premiere est, qu’en vuidant l’eau se fait grande resolution & perte d’esprits, & par consequent, des forces naturelles, vitales, & animales. La seconde, que le foye n’estant plus soustenu sur l’eau comme deuant, prend, & par sa pesanteur tire à bas quand-&-soy le diaphragme, & les parties thorachiques, dont s’ensuit, toux seiche, & difficulté de respiration. La troisiesme, que le Peritoine qui est de substance nerueuse, ne se peut bonnement poindre, ny inciser sans grand danger, ny aisément agglutiner, pour estre partie exsangue & spermatique. Tels sont les arguments d’Erasistrate & de ses sectateurs, pour prouuer que la paracentese est dommageable, mais ils en amenent encores d’autres, pour mõstrer qu’à tout le moins elle est inutile. C’est que l’eau euacuee n’emporte point quant-&-soy la cause, qui est l’intemperature & dureté du foye, é des autres parties internes, lesquelles par apres ne laissent de r’engendrer l’hydropisie comme deuant. Ioint que la fiéure, soif, & intemperature chaude & seiche, qui estoyent temperees par l’attouchement de l’eau, sont par l’absence d’icelle augmentees. Et c’est, ie croy, ce qui a esmeu Auicenne & Gourdon d’escrire, que bien peu sont eschappez de la paracentese : mais tout cela est fort aisé à refuter. Car pour commẽcer aux incomoditez qu’ils disent en prouenir : Galien dit que la premiere aduient faute de bien administrer la punction, à sçauoir quand on laisse escouler l’eau toute à la fois. Et à la verité il y auroit bien plus de raioson suiuant cela, de reietter la phlebotomie, par laquelle on vuide le sang, qui contient bien plus grande quantité d’esprits, & qui sont bien plus purs que ne fait l’eau des Hydropiques. Quant à la seconde, qui est que le foye n’estant plus supporté par l’eau, attire à bas par sa pesanteur les visceres thorachiques : cela se peut bien cuiter en tenant le malade couché à la renuerse, car ainsi le foye mesme ne pend point. Plus, quelque connexion qu’ait le foy auec lesdites parties, si n’y est-il point tellemẽt attaché qu’il les puisse tirer, veu mesme qu’il en est separé par le diaphragme, lequel soustient lesdits visceres thorachiques, & empesche qu’ils ne puissent tomber plus bas. Pour le regard de la troisieme incõmodité, c’est simplesse de craindre l’incision du Peritoine, bien que ce soit vne partie nerueuse & membraneuse. Car tous les inconueniens qui aduiennent aux parties nerueuses blessees, c’est à raison de leur sentiment, lequel n’estant icy que bien petit ou du tout nul, à cause de l’alteration interieure, il n’en faut auoir aucune doute. D’abondant, & la raison & l’experience ordinaire nous enseignent que plusieurs parties nerueuses, voire les membranes mesmes simples, eslongnees & despourueuës de chair, se peuuent guarir : par plus forte raison le Peritoine incisé se pourra reprendre, veu qu’il est encore adherant aux muscles de l’abdomen, & si serré auecques iceux, que les anatomistes ont bien de la peine à l’en pouuoir separer. Reste l’argumẽt de l’inutilité, qui est de si peu de valeur, que pour y respondre ie ne veux seulement qu’vser des propres termes de Celse. Ie sçay bien (dit-il) que la paracentese a despleu à Erasistrate & aux siens, parce qu’ils ont estimé que l’hydropisie fust maladie du foye tant seulement, & qu’en vain l’on mettoit peine de vuider l’eau, laquelle n’emportant quand & soy l’affection du foye, ne laissoit pas de se r’engendrer encores après l’euacuation. En qyoy ils ont lourdement failly. Car en premier lieu, ce vice ne vient seulement du foye : & encore qu’il en fust venu, toutesfois si on ne vuide l’eau corrompuë, qui est dedans le vẽtre contre nature, elle fait grande nuisance au foye, & à toutes les autres parties interieures ; augmentant, ou pour le moins entretenant leur dureté & intemperature. Au contraire, estant vuidee, si elle ne fait autre bien, pour le moins elle fait place aux remedes, qui puis apres pourront guarir le vide desdites parties : & tant s’en faut que ceste eau qui est salee & corrompuë, puisse mitiger la fi&ure, soif, & intemperature chaude & seiche, que plustost elle les augmente. Quant à l’intemperature froide, elle en accroist, en sorte que ce pendant la chaleur naturelle est en grand danger d’estre esteinte par l’abondance d’humidité. Ainsi nous pourrons, suiuuant Celse, renuoyer Erasistrate & ses sectateurs par deuers Galien, qui les admonneste d’apprendre l’essence & la cause de ce mal, qu’ils ont ignoree, auant que s’entremettre de le curer, ou de disputer de la curation. Pareille & derniere response ferons nous à Auicẽne & Gourdon, par la bouche de Celius Aurelianus autheur excellent, combien que methodique. Ceux (dit-il) qui osent mettre en avãt, que tous ceux à qui on a faict la paracẽtese sont morts, mentent : car nous en auons veu beaucoup reschapper. Et si plusieurs y sont demeurez, c’est faute que l’ouuerture a esté faicte ou trop tard, ou peu dextrement. Ie ne diray plus que ce mot, pour assoupir toutes disputes & contradictions, c’est que le malade estant reduict à telle extremité, qu’il ne luy reste plus qu’vn seul remede, ce n’est pas trop sagement faict de disputer, s’il est bon de le faire ou non.
 
Parquoy pour clorre ceste dispute auec Celse, nous ne voulõs pas asseurer que tous puissent guarir par ces remedes. Or maintenant il nous faut declarer la methode de faire la paracentese pour vacuer l’eau contenuë au ventre. Si l’hydropisie procede du foye, il faut faire ouuerture à la partie senestre : & si elle vient du vice de la ratte, elle sera faite à la dextre : parce que si le malade reposoit sur le costé incisé, la douleur de la playe l’affligeroit, & l’aquisoté renuersee sur l’ouuerture, sortiroit & distilleroit continuellement, dont s’ensuiuroit trop grande debilitation de la vertu. Ladite incision doit estre faite trois doigts au dessous de l’Ombilic, à costé des muscles longitudinaux (non sur la ligne blanche) ny en l’extremité nerueuse des autres muscles de l’Epigastre, pour obuier à la douleur, & difficulté qu’il y auroit à consolider la playe, à raison que telles parties sont exangues. François Rousset, Medecin bien estimé entre les gens doctes, dict auoir veu à Orleans vn gros porte-faix, surnommé, Va si tu peux, hydropique de long temps, desesperé de puuoir iamair receuoir guarison : auquel à S. Aignan vn autre semblable belistre luy perça le ventre d’vn grand coup de cousteau, d’où aussi tost sortit grande quantité d’eau pourrie : lequel subitement guary, reuint à trauailler comme deuant, sans retõbe en hydropisie. Il fut guary par hazard, sans que l’incision fust faite par la Paracentese. La maniere de faire la Paracentese est, qu’il faut situer le malade sur le costé droict, si on pretend faire l’incision au senestre : au contraire, si on la veut faire au dextre, sera couché sus le senestre : puis le Chirurgien auec vn seruiteur pincera en trauers iusques aux muscles : cela faict, tirera la partie superieure de l’incision qu’il aura faicte, assez haut vers l’estomach, à fin que lors que l’on voudra consolider la playe, le cuir retourne dessus pour mieux l’agglutiner : puis fera vne autre petite incision, coupant les muscles & Peritoine, se donnant bien garde de toucher à l’omentum, ny moins aux intestins : & sera mis en la playe vne tante d’or ou d’argent cãnulee & courbee, de grosseru d’vn tuyau de plume d’oye, de longueur de demy doigt, ou enuiron, ayant la teste assez large, de peur qu’elle ne tombe en la capacité du ventre : pareillement de peur qu’elle sorte de la playe, aura en sa teste deux petits trous pour passer vn petit ruban, lequel sera attaché au milieu du corps, si dextremẽt qu’elle ne puisse sortir, si ce n’est à la volonté du Chirurgien : & par icelle l’eau sera vacuee tant & si peu qu’on voudra, qui se fera par le benefice d’vne esponge, qu’on mettra dedans ladite tante, laquelle espõge sera lors ostee qu’on voudra tirer l’eau. L’eau ne doit estre tiree tout à coup, pour la resolution & dissipation des esprits, qui se feroyent auec si grande quantité d’eau, dont s’ensuiurait mort soudaine. Ce que i’ay veu aduenir à vn malade hydropique, qui se donna vn coup de poinçon dedans le ventre, pour faire sortir les eaux, & se resiouïssoit de les voir couler, & son ventre desenfler : & fut impossible d’arrester lesdites eaux, dont le pauure malade mourut en peu d’heures, à cause que l’incision n’estoit faite selon la methode que nous auons dict. D’auantage ne faut omettre à apposer vne bõne et grosse compresse par dessus, & vne ligature, à fin de mieux tenir ladite cannule, de peur que l’eau ne sorte hors contre la volonté du Chirurgien. Et faut icy noter, que ladite cannule ne doit estre tiree hors la playe, que iusques à ce qu’on aye faict toute l’euacuation qu’on pretend, attendu que puis apres ne peut estre si bien remise, ny sans grande violence & douleur, à cause que le cuir & pannicule charneux recouurent l’ouuerture. Or pendant qu’on fera euacuation de l’eau, faut bien alimenter le malade, & auoir tousiours l’œil à ses forces : & où il seroit debile, on cessera l’euacuation quelques iours sans nullement tirer l’eau : puis l’ayant suffisamment vacuee, la playe sera consolidee, euitant qu’il ne s’y face vne fistule : laquelle selon Hypp. liu. 6. Apho. 8. est incurable.
 
Autres vuident l’eau en ceste maniere. C’est que l’ouuerture faicte ils reprennent les deux leures de l’ouuerture, les percent transuersalement d’vne aiguille, prenans assez grande quantité de chair, à fin que ladite aiguille ne rompe ce qui auroit esté pris, comme il se fait és becs de liéures, lors qu’on les veut reünir ensemble. Cela fait, on passe vn filet de costé & d’autre de l’aiguille par plusieurs fois, à fin de mieux tenir les léures vnies & le trou fermé, de peur que l’eau ne s’euacuë sinon à la volonté du Chirurgien. Quelquesfois apres auoir esté guaris les malades tombent en Ictericie, dicte Iaunisse, pour la guarison de laquelle i’ay esprouué tel remede, auec heureuse issue en vingt ou trente iours, & auoyent les malades long temps vsé de plusieurs remedes ordonnez par Medecins doctes. 4. stercor. anseris Ʒ ij. diss. cum ǯ iij. vini albi. coletur, fiat potio, detur duabus horis ante pastum.
  Jacodomius Lommius, Tableau des maladies, XVIe siècle (traduction de 1760)

Livre 2. Chap. VI. L'Hydropisie.

Ce que les Grecs appellent Hydropisie est une maladie fort dangereuse, & qui mérite une description exacte ; on en compte de trois sortes. La premiere que les Grecs ont nommée Ascite, est un amas d’eaux renfermées dans la capacité du bas-ventre fous le Péritoine, ensorte que tout l’abdomen en est tendu. La seconde appellée Tympanite vient de vents, qui causent la même enflure. La troisieme espece est nommée Anasarque, ou Leucophlegmatie.
 
Dans cette derniere sorte d’Hydropisie, une enflure œdémateuse & molle gagne insensiblement tout le corps, principalement les jambes & les pieds, & cela surtout vers le soir, lorsque l’on s’est beaucoup agité, ou que l’on a été longtems debout. Si l’on appuie sur la peau avec le doigt, il s’y fait un enfoncement qui en conserve l’impression, & qui ne se rétablit que longtems après. La même enflure s’étend souvent jusqu’aux cuisses & aux bourses ; & quoique les pieds soient considérablement enflés le soir, ils ne le sont presque plus le matin au sortir du lit. Le ventre paroît fort gros au tact, quoiqu’il ne le soit pas plus que le reste du corps, qui est partout également mol, lâche & pâle, & en même tems si foible & si languissant, qu’il ne peut supporter le moindre exercice. Cependant la respiration est grande & difficile, principalement après le repas : on a outre cela une fievre lente continue ; le pouls est ondulent & petit, fréquent & in&gal ; enfin les déjections sont cruës, quelquefois mêlées d’un peu de sang, & les urines sont blanches, ténuës & aqueuses. Cette espece d’Hydropisie vient le plus souvent après de longues fievres, des maux d’Estomac, une longue suppression ou un écoulement trop abondant des Regles & des Hémorrhoïdes, des difficultés de respirer qui ont duré longtems, & des veilles immodérées. Elle attaque plus souvent les enfants que les personnes plus âgées, & differe seulement de la simple Cachexie pituiteuse, en ce que dans cette derniere l’enflure n’est pas si considérable. Au reste il est ordinaire aux personnes attaquées de cette maladie, de se porter tantôt mieux & tantôt plus mal en un même jour. Que si dans son commencement il arrive un Dévoiement, c’est un pronostic de santé.
 
Je passe aux signes qui caractérisent l’Hydropisie Ascite. L’enflure du ventre & de tout l’Abdomen est accompagnée d’un sentiment de pesanteur ; & si on le remue, il rend un bruit semblable à celui des eaux agitées, tel que pourroit être celui d’un tonneau qui ne seroit pas exactement plein. Quelquefois les eaux sont toutes contenue dans la capacité du ventre ; quelquefois aussi il en passe dans les bourses, dans les cuisses & dans les jambes, surtout après des exercices violens : souvent mêmes elles pénetrent jusques dans la poitrine & dans la matrice, principalement lorsque le mal s’est augmenté avec le tems. Si l’on appuie sur le ventre du Malade, il respire plus difficilement. Du reste uns soif considérable accompagne presque toujours cette maladie : le pouls est petit, fréquent, un peu dur & tendu ; l’urine coule en très-petite quantité, & pour l’ordinaire elle est épaisse & rouge, surtout si le Foie est la source du mal : enfin tout le corps s’exténue & se fond, pour ainsi dire, à mesure que le ventre grossit davantage ; il survient aussi quelque fois une petite fievre, à cause de la corruption des eaux qui croupissent dans cette partie. Cette sorte d’Hydropisie est presque toujours une suite des Schirres invétérés du Foie, du Mézentere, de la Ratte ou de la Matrice, des Fievres ardentes, ou d’une Jaunisse produite par quelque vice des visceres, & qui a duré longtemps. Elle est moins ordinaire aux enfans, qu’aux gens d’un âge plus avancé : ceux qui rendent fréquemment du sang par haut ou par bas à l’occasion d’une veine rompue dans les visceres, y sont aussi les plus sujets.
 
Il me reste à parler de la derniere espece d’Hydropisie, qui parce qu’elle vient de vents, en a pris chez les Grecs le nom de Tympanite. Quoique dans celle-ci le ventre soir moins gros que dans l’Ascite, il est du reste si tendu, que pour peu qu’on le touche du doigt, il retentit comme un tambour. On n’y entend point le choc des eaux, mais seulement un murmure léger, avec quelques roulemens de vents. Le Malade a des envies fréquences de rendre des vents par la bouche ; & si cela lui arrive, il paroît en être un peu soulagé. Les pieds ne sont pas aussi enflés que dans les autres especes d’Hydropisie ; mais le reste du corps s’exténue de même. Cette maladie est souvent une suite du gonflement de l’Estomac & du Colon, ou des longues fievres. Hippocrate a fort bien observé, que les Coliques venteuses, & les douleurs vers l’Ombilic & les Lombes, qui ne se dissipent ni par les remedes ni autrement, ont coutume de dégénerer en cette espece d’Hydropisie.
 
Voici en quoi l’Ascite & la Tympanite different de la Leucophlegmatie. Dans celle-ci tout le corps grossit également sous une enflure mollasse, & le ventre n’excede son volume naturel qu’à proportion des autres parties ; mais dans les deux premieres il n’y que le ventre qui s’étende, & quoique l’enflure se communique aux pieds, le reste du corps amaigrit. Dans la Leucophlegmatie le pouls est ondulent, mollet & fort étendu ; il est dans l’Ascite petit, fréquent, un peut dur & tendu ; dans la Tympanite il est long, vîte et fréquent, nullement foible, ni dur, ni tendu.
 
Les observations suivantes regardent en général toute espece d’Hydropisie. Lorsque cette maladie n’a pas encor paru, & que l’on appréhende qu’elle n’arrive, les évacuations naturelles & ordinaires sont supprimées, principalement les Hémorrhoïdes & les Regles, ou bien elles sont excessives en durée & en quantité. On a également à craindre, si un Schirre au Foie ou à la Ratte, une Jaunisse ou une Lientérie durent trop, & ne cedent point aux remedes ; si l’on est longtems attaqué de ce que les Grecs nomment Cacochynie & de Cachexie ; si avec l’une de ces dispositions les testicules deviennent quelquefois enflés ; ou s’il arrive des passages fréquens d’une faim excessive à un grand dégoût.
 
Lorsque l’Hydropisie commence, l’enflure se produit à toutes les parties inférieures depuis le ventre jusqu’aux pieds ; la respiration est difficile : la couleur de la peau se change en une pâleur verdâtre ; le dégoût, la soif & la toux seche surviennent : la soif est pourtant particuliere à l’Ascite, & la toux seche à la Tympanite. Un autre accident qui est encor commun, c’est que dans cette maladie le Foie est toujours attaqué, & que l’abondance d’humeurs est si grande, qu’elle empêche les ulceres que l’on peut avoir, de guérir facilement.
 
L’Hydropisie arrive souvent d’elle-même ; souvent aussi elle vient à la suite de longues maladies, principalement de fievre Quarte. Ceux qui ont souffert de grandes Hémorrhagies par haut ou par bas, & qui sont attaqués de fievre, sont fort exposés à l’Hydropisie, qui en cette occasion est presque toujours mortelle. Elle est moins funeste à ceux qui sont sujets à des gonflemens de Ratte, lesquels se dissipent et reviennent de tems en tems : c’est ce qui trompe souvent les Malades, qui négligent les remedes & le Médecin, & qui périssent dans la confiance qu’ils guériront.
 
L’Hydropisie qui vient d’une tumeur de Ratte est moins dangereuse, que celle qui procede d’un vice du Foie ; mais la moins à craindre est celle qui ne vient point à la suite d’une autre maladie, surtout si les visceres ne sont point flétris, si l’on respire avec facilité, si l’on ne tousse point, si l’on n’a pas de soif, ni la langue seche, principalement après avoir dormi, tems auquel ces accidens sont ordinaires ; si outre cela on n’a point de dégoût pour les alimens, & si l’on n’est point incommodé après avoir mangé ; si le ventre est mol, ou s’il se dégage ; si les Purgatifs ont beaucoup d’effet, ou si les excrémens sont mols & figurés ; si selon la diversité des boissons, ou par l’usage des remedes, les urines changent de qualité peu de tems après ; enfin si le Malade est exemt de douleur, de chaleur & de lassitude, & s’il supporte aisément la maladie. Celui en qui se trouvent tous ces signes favorables, n’a certainement rien à craindre.
 
Si l’on a des tumeurs dans cette maladie, il est bon qu’elles soient seulement aux extrémités ; il vaut encor mieux n’en point avoir du tout. Le Dévoiement qui soulage & diminue le mal, est utile ; mais s’il l’augmente, il est inutile, & même pernicieux. Le danger est extrême, lorsque le Malade est d’un tempérament chaud & sec, & que le vice du Foie consiste dans l’excès de ces mêmes qualités ; lorsque quelque maladie aiguë a donné lieu à l’Hydropisie ; ou quand elle est causée par un Schirre au Foie ou à la Ratte : car dans ces cas on n’en guérit presque jamais.
 
Ce qui augmente le danger, est lorsqu’il survient une toux seche, ou bien un flux de sang ou de quelqu’autre humeur ; dont on ne reçoit aucun soulagement ; surtout si la respiration est toujours embarrassée, & si le Cours de ventre se change en Dyssenterie : car alors le Malade passe rarement le troisieme jour. On a encor tout à craindre des attaques de l’Espilépsie, de la puanteur de l’haleine, de celle de crachats, de la sueur ou de la transpiration. Il est également dangereux que la fievre survienne, que l’urine soit trouble & peu abondante, ou que le mal ayant déjà gagné la moitié du corps, il arrive une Hémorrhagie par haut ou par bas. Il en est de même si après s’être dissipée & reproduite plusieurs fois, l’enflure plus forte que tous les remedes demeure enfin stable, sans que rien puisse lui faire quitter prise : le mal est enfin désespéré, lorsqu’avec peu de forces il survient un Cours de ventre, & qu’en même tems le Malade respire très-difficilement ; quand il se forme des ulceres considérables & malins à la bouche, aux gencives, aux jambes, ou enfin à d’autres parties du corps ; quand on rendu du sang caillé par les selles ; ou quand l’urine est diversement colorée dans la hauteur de l’urinal, ensorte qu’elle soit rouge au fond & livide au-dessus, ou au contraire. On meurt aussi bientôt, lorsque par une seule effusion on donne issue à tout l’eau renfermée dans la capacité du ventre.

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