Banissement
(Ceci est une chronique qui raconte un évènement passé ou qui se déroule en ce moment. Les liens en italiques mènent à des vidéos youtube qui doivent servir de musique d'ambiance bien qu'elles ne soient pas obligatoires pour la lecture. Il est conseillé de les ouvrir dans un nouvel onglet et, dans le lecteur de youtube, faire un clic droit > "Lire en boucle" jusqu'au prochain lien)
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Centra, le 28/09/267 à 11h.
La foule est plutôt éparse, en ce froid huitième jour de la dernière décade de septembre. Les nuages couvrent le ciel et la pluie n'est pas loin. Le tonerre gronde à l'horizon. La grand place de Centra est quasiment vide, en dehors des échoppes du marché qui ont été mises en place la veille.
Il y a 267 ans, jour pour jour, que l'Impératrice a décrétée que le 28 Septembre était un jour de repos national. Bien qu'elle l'ait fait pour des raisons personelles, cette décision va sauver la vie à de nombreuses personnes, aujourd'hui.
Les Capuches noires sont rassemblés, sous l'oeil vigilant de leur commandante, Dame Morgana. Chaque décade, elle tient à inspecter les divisions stationnées à la capitale elle-même. Aujourd'hui, le troisième bataillon, commandé par le lieutenant Emet.
Morgana se tient, droite comme un piquet, en bas de l'interminable escalier qui mène au palais de l'Impératrice. Elle a le regard froid, comme toujours, prends un malin plaisir à dévisager chacun d'eux. Elle sait quelle terreur elle peut leur inspirer. Emet s'avance vers elle et lui fait un salut plus que convenable.
"Nous sommes à vos ordres, votre altesse."
"Inutile de me le préciser, idiot."
Il prends un air de chien battu. Elle adore ça. Ce lèche-cul passe son temps à essayer d'obtenir un compliment de sa part. En dehors des deux ou trois fois où elle a profité de lui dans ses appartements, il n'a jamais rien obtenu et il n'obtiendra jamais rien. C'est son point de pression, celui qui le fait souffrir et assure à Morgana un contrôle absolu sur ce triste personnage.
Lorsqu'elle prends la parole, elle ne s'adresse pas à lui mais aux hommes rassemblés.
"Capuches noires ! Ce jour est... particulier. En effet, c'est aujourd'hui que..."
Elle ne finira jamais cette phrase. Du haut de l'escalier, un cri retentit.
"Morgana !"
Tout le monde prends un air choqué en regardant en haut de l'escalier mais la vipère, elle, a reconnu cette voix. Elle s'apprête à répondre de manière sarcastique à sa soeur mais se retourne brusquement. Quelque chose ne va pas. Brunante n'est pas seule.
Morgana découvre, là-haut, la quasi intégralité de la garde impériale, en armes. Sa soeur, elle même, est en équipement intégral. Son armure est rutilante, son bouclier en main et son épée, "Espoir", est dégainée.
Quelque chose ne va pas. Néanmoins, Morgana affiche un sourire provocateur. Les instructions de leur mère adoptive sont très claires : elles n'ont pas le droit d'en venir aux mains.
"Brunante ! Que me vaut cette démonstration de force superflue ?"
"Par ordre de son altesse impériale, notre mère, tu es en état d'arrestation !"
Morgana écarquille les yeux. Puis, après quelques instants, elle éclate d'un petit rire narquois.
"Allons bon ! J'aimerais bien voir ça ! Et en quel honneur ?"
Les mots de Brunante ne l'inquiètent pas. Mais ils suffisent à effrayer les capuches noires. Emet recule et descends une marche alors que les soldats de Brunante avancent sur eux. Les passants s'éloignent mais reste à une distance où ils peuvent tout entendre et tout voir... il serait dommage de manquer des commérages.
"Ta tentative d'assassinat a échoué, Morgana."
Le sourire de la sorcière s'efface immédiatement. Elle comprends ces mots, cela transparait sur son visage. Elle comprends leur signification littérale... et profonde. Elle comprends l'assurance de sa soeur.
"Je... je ne vois pas de quoi tu parles."
"Vraiment ?"
Les soldats se répartissent en arc de cercle au pieds des marches. Ils attrapent les capuches noires par les poignets. Ces derniers paniquent, certains se débattent. Morgana n'entends même pas leurs gesticulations. Elle ne voit que sa soeur, deux marches au-dessus d'elle, qui pointe sa lame vers son visage.
"Tu ne vois pas de quoi je parles ? A moins que ta tentative ait réussi, justement ? Mère était en audience avec Entoma et Marina, ce matin, je ne t'apprends rien, n'est-ce pas ?"
Elle ne trouve pas les mots. Elle pourrait répondre avec sarcasme, avec cynisme... mais elle ne le veut pas. Elle voudrait répondre réellement, pas esquiver... mais comment ? Que dire ? Elle est Morgana Morgans... qui l'écoutera ? Qui ? Sa mère ? Oui. Elle doit parler à sa mère. Non. Elle ne peut pas. Elle ne l'écoutera pas. Tout se mélange dans sa tête, et ça se voit.
"Cette fois, c'est terminé pour toi, Morgana."
Sans prendre la moindre précaution, Brunante avance sa main pour s'emparer du poignet de sa soeur.
Si elle m'arrête, je suis finie.
La main de Morgana balaie celle de Brunante. Et la scène tourne au cauchemars.
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D'un seul coup, des dizaines d'ombres sortent de la sienne et se jettent sur les soldats, les plaquants au sol. Elle se tourne brusquement vers les capuches noires.
"Courez ! Fuyez ! Disparaissez !"
Elle n'a pas le temps d'en dire plus. L'épée de Brunante se lève et s'apprête à s'abattre sur elle. D'un geste, Morgana dresse un bouclier magique alors que ses troupes s'enfuient. La foule panique, se disperse, se cache.
Le bouclier stoppe net le coup d'épée et une onde de choc repousse Brunante. Son épée virevolte et se retrouve projetée en bas des escaliers. L'onde de choc dissipe les ombres mais assome également la plupart des soldats.
Morgana, le regard impérieux, se tient droite. Elle maintient l'onde de choc pour garder sa soeur à terre, au milieu des marches. Elle lui hurle dessus, les yeux emplis de haine.
"Pour qui tu te prends, hein, la souillon ? Tu crois pouvoir te débarasser de moi comme ça ? Tu arrives deux siècles trop tôt pour t'opposer à moi ! Est-ce que, par hasard, nos petits jeux de dupes t'auraient laissé penser que nous sommes sur un pieds d'égalité ? Hein ? Tu n'es rien face à moi !"
Brunante est à terre. Elle n'arrive pas à se relever. La pression est trop forte. Le combat aura duré moins d'une seconde.
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Une voix faible perce le brouhaha, depuis le haut de l'escalier.
"Pourquoi... pourquoi tu as fait ça...?"
Morgana a à peine le temps de relever les yeux. Entoma s'est déjà téléportée à ses côtés. La boule de feu qu'elle tient dans la main explose contre le bouclier de la sorcière. A bout portant, l'explosion est décuplée. La moitié du grand escalier vole en éclat. Brunante elle-même est projetée parmis les débris et s'écrase violemment contre l'étal d'une échoppe du marché. La population hurle.
Dans son bouclier, Morgana est expulsée au milieu de la place. Elle s'écrase contre la statue d'Azip Morgans dont le piedestal se fissure. Son bouclier vacille mais tient le choc. A peine s'est elle redressée qu'une autre boule de feu vient percuter le bouclier, faisant exploser la statue, le centre de la place et la plupart des échoppes.
Trois ombres de Morgana sortent du sol et foncent sur Entoma. Cette dernière croise les bras et relâche un énorme rayon de désintégration sur sa cible, fauchant au passage les ombres qui disparaissent dans un râle d'agonie.
Morgana hurle de rage alors que le rayon percute son bouclier.
"Tu m'as arrachée la moitié du coeur, Morgana ! Il est temps d'en payer le prix !"
Les larmes s'entendent dans les trémollos de la voix d'Entoma. Morgana dissipe le rayon de désintégration.
"Hors de mon chemin, gamine ! Tu mets ta vie en danger inutilement !"
"Je n'ai plus quinze ans. L'époque où tu me faisais peur est révolue depuis environ deux cents ans !"
"Comme quoi la sagesse ne vient pas avec l'âge, visiblement..."
"Tu vas répondre de ton crime !"
Sort après sort, Entoma s'acharne sur le bouclier de Morgana. Chaque fois qu'elle essaye de riposter, Entoma contre son sort et en lance un plus puissant. Le bouclier craque et finit par tomber. A cet instant, Entoma se jette sur elle et, d'un direct du droit, l'envoie valser contre ce qu'il reste des pavés de la cour. La sorcière crache un filet de sang et, toujours à terre, fixe ses yeux sur ceux de celle contre qui elle n'aurait jamais pensé perdre. Dans les yeux d'Entoma, à travers son masque, les larmes sont visibles. Morgana comprends ce sentiment... elle l'a ressenti... lorsqu'Hilde a tué Odessa.
"Je... Je ne te dois rien, petite..."
"Alors, peut-être que tu me répondra, à moi."
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Le silence. En haut de l'escalier, l'Impératrice en personne se tient. Le teint pâle, les yeux rouges d'avoir trop pleuré. Les mots de venin que Morgana avaient dans la gorge restent bloqués. Devant sa mère adoptive, elle ne peut que trembler et balbutier.
"Réponds, Morgana. Pourquoi ? Pourquoi avoir fait ça ?"
"Je... Vous..."
Elle les fixe, une à une. Brunante, qui peine à se relever. Entoma, les larmes aux yeux, prête à en finir au moindre mot de l'impératrice... et Lena.
Elles m'ont déjà jugée. Je suis coupable.
Lena lui hurle dessus.
"REPONDS !"
Les larmes perlent alors que la boule qu'elle a dans la gorge depuis le début remonte doucement.
Entoma lui hurle dessus.
"REPONDS !"
"LA FERME !"
Les mots sont sortis de sa bouche en même temps que les larmes et ni l'un ni l'autre ne semblent décider à cesser de s'écouler.
"Vous êtes tous complètement cons ou quoi ? Lena ! Je t'ai tout donné ! J'ai tout fait, tout ce qu'il fallait ! Je suis devenu un monstre aux yeux de tous, pour toi, pour ton rêve... pour le souvenir d'Azip. Bon sang ! Si j'avais dût faire ça, je l'aurais fait il y a plus de 200 ans, maintenant ! Pourquoi j'aurais voulu te tuer ?! Pourquoi j'aurais voulu tuer Marina ou Entoma, hein ? Pourquoi j'aurais fait ça ?"
Le regard de Lena est dur et froid. Celui d'Entoma devient aussi acéré qu'une lame.
"Tu l'as fait, Morgana. Que ce soit par tes actions, ta volonté ou, pire, ton inaction... ce qu'il s'est passé aujourd'hui est entièrement de ta faute. Tu es devenue le monstre à abattre, pour le reste du monde. Tu es la seule et unique raison pour laquelle on pourrait encore vouloir s'en prendre à moi. Aujourd'hui, tu n'es plus mon problème. En tant qu'Impératrice, je te condamne à mort."
Ils n'écoutent pas. Je le savais...
Les larmes roulent sur les joues de la sorcière. Entoma lève sa main, prête à lancer un sort. Mais le temps semble comme figé. Le dernier regard que Lena et Morgana échange est lourd de sens.
Je t'aime, maman...
La téléportation ne produit pas le moindre son. C'est un objet magique qui a été utilisé. Entoma ne peut pas l'empêcher. Son cri de tristesse et de rage résonne alors que Morgana disparaît purement et simplement.
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