Le mariage d'Aiko

Rin prit une gorgée de thé. Elle en remarqua à peine la saveur délicate, plongée dans ses pensées. Son mari était attendu à tout moment. Comment lui annoncer la bonne nouvelle ? Pour une fois, un prétendant pour sa fille avait trouvé grâce à ses yeux.
Aiko avait fait son gempukku deux ans auparavant et n'était toujours pas marié, ce qui n'avait pas manqué de faire jaser. Mais Rin n'avait jamais pu se résoudre à laisser sa benjamine partir loin d'elle. Aiko était un miracle, elle l'avait eu dix ans après son enfant précédent, alors qu'elle pensait ne plus être capable de porter la vie. Elle avait toujours rêvé d'avoir une fille, mais seuls des garçons avaient poussés dans son ventre. Le nom de sa petite merveille, elle l'avait choisi elle-même, pour lui signifier ce qu'elle représentait. Sa fille était devenue une magnifique femme délicate, versée dans les arts, et dont elle préférait la compagnie à tout autre personne.
Rin ne pensait pas pouvoir vivre sans elle, et avait toujours trouvé moyen de faire échouer les projets de mariage qui auraient éloigné sa fille au-delà du supportable. Quand Aiko lui avait parlé de ce jeune Isawa qu'elle appréciait, Rin s'était renseignée. Sa famille était située dans le domaine voisin, et leur prestige était au moins égale au sien. C'était la solution idéale.
La porte de la pièce coulissa, et Masao, son mari entra. Il s'était changé et lavé depuis son arrivée. Ils échangèrent les paroles habituelles. Après tant d'années, c'était devenu une coutume réconfortante. Rin expliquait à son mari comment le domaine se portait, et ce dernier lui racontait ses pérégrinations. Ils faisaient une bonne équipe. Soudain une phrase la perça au cœur.
« Qu'est-ce que l'empereur a dit ? »
« Notre fille sera un très bon parti pour Isawa Toru. Leur famille a les faveurs de l'empereur, ils sont en pleine ascension. C'est un bon parti. »
« Où se trouve leur domaine ? »
L'endroit qu'il lui indiqua était à plusieurs centaines de kilomètres du leur.
« Tu ne peux pas laisser faire ça ! Je ne verrai ma fille qu'une fois par an au mieux, tu veux me briser le cœur. »
Masao balaya l'air de la main, l'air agacé.
« Il suffit ! Cela fait trop longtemps que tu la couves. C'est un bon mariage. Il a été ordonné par l'empereur, il est hors de question que je nous couvre de déshonneur en m'y opposant. »
Il n'y avait rien à faire. Peut-être que Rin aurait pu faire plier son mari, mais la voix de l'empereur était sacrée. Mieux valait s'arracher le cœur que d'y déroger.